« Le Nouveau n’est pas une mode, c’est une valeur,
fondement de toute critique : notre évaluation du monde ne dépend plus, du moins
directement, comme chez Nietzsche, de l’opposition du noble et du vil, mais de
celle de l’Ancien et du Nouveau (l’érotique du Nouveau a commencé dès le XVIIIe
siècle : longue transformation en marche). Pour échapper à l’aliénation de la
société présente, il n’y a plus que ce moyen : la fuite en avant : tout langage ancien est immédiatement
compromis, et tout langage devient ancien dès qu’il est répété. Or le langage
encratique (celui qui se produit et se répand sous la protection du pouvoir)
est statutairement un langage de répétition : toutes les institutions
officielles de langage sont des machines ressassantes : l’école, le sport, la
publicité, l’œuvre de masse, la chanson, l’information, redisent toujours la
même structure, le même sens, souvent les mêmes mots : le stéréotype est un fait
politique, la figure majeure de l’idéologie. En face le Nouveau, c’est la
jouissance (Freud: « Chez l’adulte, la nouveauté constitue toujours la
condition de la jouissance »). D’où la configuration actuelle des forces :
d’un côté un aplatissement de masse (lié à la répétition du langage) — aplatissement
hors jouissance, mais non forcément hors plaisir —, et de l’autre un emportement (marginal, excentrique) vers le Nouveau —
emportement éperdu qui pourra aller jusqu’à la destruction du discours : tentative pour
faire resurgir historiquement la jouissance refoulée sous le stéréotype. »
R. Barthes, Le plaisir du texte (1973)